XIII/ La simulation de la société de travail par le capitalisme de casino.

12 Déc 2021

La conscience sociale dominante se ment systématiquement à elle-même sur la véritable situation de la société de travailTravail Pour le courant de la critique de la valeur, Il ne faut surtout pas entendre le travail ici comme l'activité, valable à toute époque, d'interaction entre l'homme et la nature, comme l'activité en générale. Non, le travail est ici entendu comme l'activité spécifiquement capitaliste qui est automédiatisante, c'est à dire que le travail existe pour le travail et non plus pour un but extérieur comme la satisfaction d'un besoin par exemple. Dans le capitalisme le travail est à la fois concret et abstrait. Source: Lexique marxien progressif. On excommunie idéologiquement les régions qui s’effondrent, on falsifie sans vergogne les statistiques du marché de l’emploi, on fait disparaître à coups de baguette médiatique les formes de la paupérisation. De façon générale, la simulation est la caractéristique centrale du capitalisme de crise. Cela vaut aussi pour l’économie elle-même. Si jusqu’à présent, du moins dans les pays occidentaux centraux, il semble que le capital puisse accumuler même sans travail et que la forme pure de l’argent puisse continuer de garantir sans substance et par elle-même la valorisation de la valeur, c’est au processus de simulation des marchés financiers qu’est due cette apparence. Symétriquement à la simulation du travail par les mesures coercitives de la gestion démocratique du travail, s’est développée une simulation de la valorisation du capital par le décrochage spéculatif du système de crédits et des marchés boursiers vis-à-vis de l’économie réelle.

La consomption de travail présent est remplacée par la consomption du travail futur, laquelle n’aura plus jamais lieu. Il s’agit en quelque sorte d’une accumulation de capital dans un “ futur antérieur “ fictif. Le capital-argent qui ne peut plus être réinvesti de manière rentable dans l’économie réelle et ne peut donc plus absorber de travail doit progressivement se rabattre sur les marchés financiers.

À l’époque du “ miracle économique « , après la Seconde Guerre mondiale, la poussée fordiste de la valorisation ne reposait déjà plus tout à fait sur ses propres ressources. Avec une ampleur inconnue jusque-là, l’État se mit à lancer des emprunts qui dépassaient de loin ses recettes fiscales, parce qu’il ne pouvait plus financer autrement les conditions de base de la société de travail. L’État hypothéquait donc ses revenus réels futurs. C’est ainsi que, d’un côté, le capital-argent “ excédentaire “ se vit offrir une possibilité d’investissement en capital financier : on prêta de l’argent à l’État moyennant intérêts. Celui-ci acquittait ces intérêts à l’aide de nouveaux emprunts et réinjectait aussitôt l’argent emprunté dans le circuit économique. D’un autre côté, il finançait ainsi les dépenses sociales et les investissements d’infrastructure, créant une demande artificielle (au sens capitaliste) parce que non couverte par une quelconque dépense de travail fordiste fut prolongé au-delà de sa portée originelle.

Ce moment – déjà simulateur – du processus de valorisation apparemment encore intact trouvait ses limites en même temps que l’endettement public. Les “ crises d’endettement “ des États, non seulement dans le “ Tiers-Monde “ mais aussi dans les métropoles, rendaient impossible une nouvelle expansion de ce type. Ce fut le fondement objectif du triomphe de la dérégulation néo-libérale qui devait, selon sa propre idéologie, s’accompagner d’une réduction draconienne des quotas prélevés par l’État sur le produit national. Mais en réalité la dérégulation et le démantèlement des tâches de l’État sont réduites à néant par les coûts de la crise, ne serait-ce que ceux engendrés par la répression et la simulation étatiques. Dans nombre de pays, la quote-part de l’État se trouve ainsi encore augmentée.

Mais une nouvelle accumulation de capital ne peut plus être simulée par l’endettement de l’État. C’est pourquoi, depuis les années 80, la création supplémentaire de capital fictif s’est déplacée vers les marchés financiers. Là, il ne s’agit plus depuis longtemps de dividendes (la part de bénéfice sur la production réelle), mais seulement de gains sur les cours, de la plus-value spéculative des titres jusqu’à des proportions astronomiques. Le rapport entre l’économie réelle et le mouvement du marché financier spéculatif s’est inversé. La hausse des cours spéculatifs n’anticipe plus l’expansion économique réelle, mais, à l’inverse, la hausse survenue dans la création de plus-value fictive simule une accumulation réelle, qui n’existe déjà plus.

L’idole Travail est cliniquement morte, mais l’expansion apparemment autonomisée des marchés financiers la maintient en survie artificielle. Les entreprises industrielles réalisent des bénéfices qui ne proviennent plus de la vente et de la production de biens réels (depuis longtemps opération à perte), mais qui sont dus à la participation d’un département financier “ futé “ à la spéculation sur les marchés financiers et monétaires. Les budgets publics affichent des revenus qui ne proviennent plus des impôts ou des crédits, mais de la participation assidue de l’administration financière aux marchés spéculatifs. Par ailleurs, certains ménages dont les revenus réels provenant de salaires baissent de façon dramatique continuent de se permettre un niveau de consommation élevé en misant sur des bénéfices boursiers. Ainsi naît une nouvelle forme de demande artificielle qui, à son tour, entraîne une production réelle et, pour l’État, des rentrées fiscales réelles “ sans fondement réel „.

De cette manière, le processus spéculatif ajourne la crise de l’économie mondiale. Mais comme la hausse de la plus-value fictive des valeurs boursières ne peut être que l’anticipation de la consomption de travail réel futur (dans une mesure astronomique proportionnelle) qui ne viendra jamais, l’imposture objectivée, après un certain temps d’incubation, ne manquera pas d’éclater au grand jour. L’effondrement des marchés émergents en Asie, en Amérique latine et en Europe de l’Est en a donné un avant-goût. Que les marchés financiers des centres capitalistes aux États-Unis, en Europe et au Japon s’écroulent aussi n’est qu’une question de temps !

Ce rapport est perçu de manière complètement déformée dans la conscience fétichisée de la société de travail, et même jusque chez les « critiques du capitalisme “ traditionnels de droite comme de gauche. Fixés sur le fantôme du travail anobli en condition d’existence positive et transhistorique, ceux-ci confondent systématiquement cause et effet. Le fait que l’expansion spéculative des marchés financiers ajourne provisoirement la crise passe alors pour la cause de la crise. Les “ méchants spéculateurs « , affirme-t-on avec plus ou moins d’affolement, seraient en train de détruire toute cette merveilleuse société de travail parce que, pour le plaisir, ils jetteraient par la fenêtre tout ce “ bon argent « , dont il y aurait “ bien assez « , au lieu de l’investir sagement et solidement dans de magnifiques “ emplois “ afin qu’une humanité ilote, obsédée de travail, puisse continuer à jouir du “ plein-emploi « .

Ces gens-là ne veulent pas comprendre que ce n’est pas la spéculation qui a causé l’arrêt des investissements réels, mais que ceux-ci étaient déjà devenus non rentables à cause de la troisième révolution industrielle et que l’envolée spéculative n’en est qu’un symptôme. Depuis bien longtemps, l’argent, qui circule en quantité apparemment inépuisable, n’est plus “ bon « , même au sens capitaliste ; il n’est plus que l’“ air “ chaud avec lequel on a gonflé la bulle spéculative. Toute tentative de dégonfler cette bulle par un quelconque projet d’imposition (“ taxe Tobin « , etc.) afin d’orienter à nouveau le capital-argent vers les moulins de la société de travail, « bons “ et bien “ réels « , aboutira seulement à faire crever la bulle encore plus vite.

On préfère diaboliser “ les spéculateurs “ au lieu de comprendre qu’inexorablement nous devenons tous non rentables et que c’est le critère de la rentabilité même ainsi que ses bases, qui sont celles de la société de travail, qu’il faut attaquer comme obsolètes. Cette image de l’ennemi à bon marché, tous la cultivent : les extrémistes de droite et les autonomes, les braves syndicalistes et les nostalgiques du keynésianisme, les théologiens sociaux et les animateurs de télévision, bref tous les apôtres du “ travail honnête « . Très rares sont ceux qui comprennent que, de là à remobiliser la folie antisémite, il n’y a qu’un pas : invoquer le capital réel “ créateur “ et d’extraction nationale contre le capital financier “ accapareur « , “ juif “ et international risque de devenir le dernier mot de la Gauche de l’Emploi intellectuellement aux abois. De toute façon, c’est déjà le dernier mot de la Droite de l’Emploi par nature raciste, antisémite et anti-américaine


« Dès que le travail, sous sa forme immédiate, a cessé d’être la source principale de la richesse, le temps de travail cesse et doit cesser d’être sa mesure, et la valeur d’échange cesse donc aussi d’être la mesure de la valeur d’usage. […] La production basée sur la valeur d’échange s’effondre de ce fait, et le procès de production matériel immédiat se voit lui-même dépouillé de sa forme mesquine et contradictoire ».

Karl Marx, Grundrisse, 1857-58

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