Ordre démocratique contre ordre marchand ? par Jacques Sapir

14 Mai 2018

Ordres marchand et démocratique

Face à cet ordre traditionnel, deux ordres sont entrés en concurrence : l’ordre marchand et l’ordre démocratique. L’ordre marchand en parti constitué de la bourgeoisie cherche à faire de la relation de marché la quintessence de la relation sociale concevant en réalité l’existence d’une société que dans les contrats passés entre les individus. L’ordre démocratique est une autre conception continuant d’une certaine manière l’imaginaire de la « chose publique » né dans l’ordre ancien. Un concept émergeant à la fin d’une certaine période de l’histoire peut contribuer à désarticuler la société et s’épanouir dans l’époque suivante. C’est le cas de l’ordre démocratique.qui part de l’idée que si les individus peuvent être différents, ils sont cependant tous égaux. Il y a une règle d’homogénéité politique. L’égalité des droits politiques qui vient se greffer sur l’hétérogénéité des situations peut provoquer des tensions et des contradictions.

Cet ordre démocratique se définit autour de principes :
-  Principe de responsabilité : Nul ne peut engager la responsabilité des autres sans devoir se soumettre à leurs jugements. Personne en peut donc exercer le pouvoir en référence à un – principe de droit divin, par exemple. Il y a toujours une responsabilité politique.
-  Principe d’égalité politique : Cela a commencé par le droit de vote aux hommes de plus de 24 ans puis aux hommes de plus de 21 ans, étendu aux femmes puis aux personnes de plus de 18 ans. Le principe inscrit dans notre constitution, article premier :

La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée.


-  Principe que tout acte légal doit s’appuyer sur un acte légitime. On ne peut pas distinguer la légalité de la légitimité.

Ces trois principes caractérisent l’ordre démocratique qui par conséquent entre en conflit avec l’ordre marchand.. Alliés pour détruire l’ordre ancien, ils se sont séparés ensuite. Pour l’ordre marchand le problème essentiel n’est pas politique, c’est le contrat qui lie un individu à un autre.. L’ordre marchand accepte de manière formelle l’idée d’égalité mais refuse l’idée de construction politique. L’idée que toute action doit être soumise au jugements des autres est étrangère à l’ordre marchand alors que toute action peut avoir des conséquences graves pour autrui mais si cela n’est pas intentionnel. L’ordre marchand ne conçoit la construction d’une société qu’à travers de relations de contrats entre les individus.

L’ordre démocratique quant à lui conçoit les relations entre les individus à travers d’institutions constituées permettant dans certaines circonstances l’existence de contrats obéissant aux règles de ces institutions.
Une autre divergence entre les ordres démocratique et marchand est la question du rapport entre légalité et légitimité. L’ordre marchand affirme que peu importe la loi mais il en faut une. La stabilité de la loi est essentielle pour l’ordre marchand. L’ordre démocratique, en revanche, ne conçoit pas qu’un législateur puisse être parfait, omniscient et capable de prévoir les conditions futures dans lesquelles sa loi devra être appliquée. Il faut donc que les lois puissent être changées, discutées, contestées. Cette contestation des lois ne peut se faire sans légitimité. Il s’agit là d’une divergence fondamentale entre l’ordre marchand et l’ordre démocratique. L’ordre démocratique permet le fonctionnement d’un certain nombre de mécanismes de l’ordre marchand alors que l’ordre machand ne permet pas à l’ordre démocratique d’exister.

Toutes les tentatives de ramener notre société plutôt vers l’ordre marchand au détriment de l’ordre démocratique entraîne des crises très profondes dans nos sociétés.

Quelle place pour la démocratie directe ?

Carte d’électeur

La démocratie directe est une idée très ancienne . C’est l’assemblée des citoyens athéniens. On la retrouve dans le principe des votations helvétiques.

Le problème de la démocratie directe est double :
-  La complexité des solutions qui augmente de plus en plus dans notre monde actuel. Cela implique une nécessité de plus en plus grande d’une spécialisation de notre personnel politique. Pour rédiger une loi, il est possible d’en donner les orientations mais quant à sa rédaction dans des termes en rapport avec les règles juridiques de notre constitution, cela demande des compétences particulières de spécialistes.

-  Nous vivons dans un environnement où nous disposons d’une très grande quantité d’informations plus ou moins pertinentes. Il faut des règles pour prendre des décisions permettant de différer le moment où il est possible de reprendre la discussion. C’est une règle fonctionnelle extrêmement importante pour la prise de décision qui n’est pas compatible avec la démocratie directe où c’est possible de tout discuter en permanence. Cela ne fonctionne pas. Frédéric Lordon dans un article du Monde diplomatique d’avril 2016 «  Nuit debout, convergences, horizontalité » dit ques dans les assemblées générales des « Nuits debout » où il est beaucoup question de transversalité il faut tout de même que des règles de fonctionnement implicites soient adoptées. Cela est nécessaire parce qu’il y a un vrai problème informationnel de gestion à la fois de connaissances et d’informations qui imposent d’adopter des règles heuristiques pour éviter la saturation.

-  La nécessité d’avoir des règles[1]cf Jo Freeman La tyrannie de l’absence de structure et celle de ne pas avoir à les soumettre en permanence à la volonté des assemblées empêche la mise en œuvre de la démocratie directe. Cependant il faut reconnaître que le système démocratique très vertical pose des problèmes de rapport entre les individus qui ont besoin à certains moments de pouvoir prendre des décisions directement et d’une certaine manière de réintroduire de la légitimité populaire dans un système qui est devenu très technique et très professionnel.

Par conséquent les référendums sont des éléments clé dans nos démocraties. Il y a d’une part le fonctionnement général de notre système démocratique pour toute une série de raisons fonctionnelles et de règles de débat (un débat sans règles n’est pas un débat) et d’autre part la possibilité de réintroduire régulièrement de la démocratie directe, rôle des référendums.

References

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