Pourquoi il faut supprimer les partis politiques par Simone Weil

23 Mai 2022

Simone Weil, philosophe française née en 1904, à ne pas confondre avec la femme politique Simone Veil, n’avait pas beaucoup de sympathie pour les partis politiques. Simon Weil va même plus loin que cela puisqu’elle était pour la suppression des partis politiques, position qu’elle a exprimée dans un petit texte intitulé « Note pour la suppression générale des partis politiques » paru en 1950 dont il est question dans cet article.

Transcription du cours du précepteur Simone Weil – Pourquoi il faut supprimer les partis politiques.

« Le parti se trouve en fait, par l’effet de l’absence­ de pensée, dans un état continuel d’impuissance qu’il attribue toujours à l’insuffisance du pouvoir dont il dispose. Serait-il maître absolu du pays, les nécessités internationales imposent des limites étroites. Ainsi la tendance essentielle des partis est totalitaire, non seulement relativement à une nation, mais relativement au globe terrestre. C’est précisément parce que la conception du bien public propre à tel ou tel parti est une fiction, une chose vide, sans réalité, qu’elle impose la recherche de la puissance totale. Toute réalité implique par elle-même une limite. Ce qui n’existe pas du tout n’est jamais limitable. »

En quoi les partis politiques posent-ils problème ?

La réponse de Simone Weil tient en une seule phrase :

Les partis politiques portent en eux le germe du totalitarisme

Dire cela peut paraître excessif pour certains, surtout dans des sociétés comme les nôtres où les partis politiques nous sont, au contraire, présentés comme un rempart contre le totalitarisme, comme des garanties du pluralisme et de la démocratie. Simone Weil ne partage absolument pas cette opinion parce que pour elle la nature du débat politique est plus complexe. Voyons comment Simon Weil justifie sa position et sur quels arguments elle s’appuie.

La personnalité de Simone Weil

Simone Weil est née à Paris dans une famille juive d’origine alsacienne. Elle meurt très jeune à 34 ans mais laisse derrière elle une œuvre importante et une vie très remplie. Son enfance est marquée par de nombreux déménagements, surtout pendant la 1ère guerre mondiale, son père étant chirurgien militaire. A 22 ans, elle devient professeur et commence alors à s‘engager dans des actions syndicales. Elle reverse son salaire à la caisse de solidarité des mineurs de fond en grève. Elle prend part aux grèves de 1936. La même année, elle s’engage sur le front espagnol. En 1940, elle rejoint la Résistance. D’une manière générale, sa vie a été marquée par l’abnégation et l’engagement auprès des plus démunis. Elle se convertit au christianisme à l’âge de 27 ans, religion dont elle a dit que c’est la seule dans laquelle elle pouvait se reconnaître, la religion des esclaves.
Au plan philosophique Simone Weil était influencée par des auteurs très divers, parfois même aux antipodes les uns des autres : Descartes avec lequel elle partage son attachement profond à la raison, Platon en qui elle voit le père de la mystique européenne, Marx qu’elle rejoint sur l’analyse sociale ainsi que sur l’idée que la philosophie ne devait pas seulement expliquer le monde mais aussi le transformer. Il est évident que pour comprendre Simone Weil au sujet des parti politiques, il faut tenir compte de ses références philosophiques et de son épistémologie politique. Simone Weil était une militante révolutionnaire, elle était une femme profondément révoltée contre les injustices qu’elle a combattu dans sa vie quotidienne.

Simone Weill à Barcelone en 1936

Qu’est-ce qu’un parti politique ?

Un parti politique est une organisation qui rassemble un ensemble de personnes qui partagent les mêmes idées et dont l’objectif est d’accéder au pouvoir pour mettre en œuvre ses idées dans la société . Accéder au pouvoir ou au minimum influencer les décisions du parti qui se trouve au pouvoir. Cette définition est celle du dictionnaire, elle n’est pas propre à Simone Weil, c’est celle qui est communément admise. Or, si nous analysons bien cette définition, nous constatons qu’elle contient deux éléments essentiels sur lesquels Simone Weil va s’appuyer pour construire sa critique des partis politiques

1) L’homogénéité des idées.

Les personnes qui adhèrent à un parti politique ou qui votent pour lui partagent globalement les mêmes opinions et les mêmes valeurs. Par exemple, si vous estimez qu’au plan de l’économie il faut encourager les entreprises et faciliter les licenciements, a priori vous n’allez pas voter pour un parti qui prône la propriété collective des moyens de production. De même, si vous êtes un militant écologique vous n’allez pas prendre votre carte dans un parti partisan du productivisme et de l’épuisement des énergies fossiles. Cela paraît évident et c’est pourtant essentiel.

2) La recherche du pouvoir

Un parti politique est une organisation qui a pour but d’accéder au pouvoir. C’est une évidence qui mérite d’être soulignée. En effet, un parti politique ne veut pas simplement exister, il ne veut pas seulement témoigner, il veut peser sur les décisions, sur l’opinion publique sinon il serait condamné à l’inefficacité et à sa disparition.

Les deux éléments essentiels d’un parti politique sont donc l’homogénéité des idées et la recherche du pouvoir.

En quoi homogénéité des idées et recherche du pouvoir posent problème ?

Pour Simone Weil, ce n’est pas tel ou tel parti politique qui pose problème, c’est le système des parti politiques, leur nature même.Il n’y a pas de distinction à faire entre les différents parti politiques parce que quelque soient les idées qu‘on y prône, le but du jeu est toujours le même, celui de se porter au pouvoir. Quelque soit la boutique politicienne il faut valider les idées prônées par elle.

1) L’homogénéité des idées

Le propre d’un parti politique est de rassembler des personnes qui partagent les mêmes opinions et les mêmes valeurs. C’est la ligne du parti. Cela a pour conséquence que l’existence d’un pluralisme devient impossible, c’est à dire l’expression et la cohabitation d’idées divergents sur tel ou tel sujet. Nous pouvons tomber d’accord avec la majorité des idées d’un parti et être en désaccord avec d’autres. Proposer une idée en contradiction avec la ligne, c’est prendre le risque d’affaiblir le parti politique., de créer de la division. Un militant politique est censé faire bloc et laisser ses désaccords au vestiaire. Nous le constatons dans notre système actuel. Quand un responsable politique prend une position divergente par rapport à celle de son parti, nous parlons d’une ligne dissidente. Or une dissidence c’est , en fait, désobéir à l’autorité et nous constatons là le champ lexical de la discipline. Quand la divergence ne concerne pas seulement un membre mais un groupe de membres, il n’est plus question de dissidence mais de scission, de l’existence d’un clan au sein du parti qui signifie la rupture de l’unité. En définitive, adhérer à un parti c’est renoncer à exprimer une pensée contradictoire, c’est renoncer à l’exercice de la raison critique qui pourrait menacer à tout moment de fragiliser l’équilibre et la stabilité du parti. Simone Weil souligne à quel point il est problématique d’exprimer une idée au nom d’une appartenance politique. Le problème en disant « en tant que socialiste, je pense que… » ou « en tant que monarchiste, je considère que… », en s’affublant d’une étiquette politique, c’est s’auto-conditionner à adhérer à une idée non pas parce qu’on la jugerait bonne ou vraie mais parce qu’elle fait partie du corpus idéologique du camp auquel on appartient. C’est créer las conditions de la pensée mécanique, de la non-pensée en fait.
Pour Simone Weil, cela pose problème, en effet, parce que cela signifie sacrifier sa pensée sur l’autel du consensus. Cela signifie aussi faire passer l’intérêt du groupe avant la vérité. Ce qui est impensable pour Simone Weil. A la limite, nous pourrions très bien imaginer que l’expression d’un désaccord puisse être quelque chose de positif, que d’aller à l’encontre de la ligne du parti puisse être l’occasion d’améliorer cette ligne et de la rendre plus robuste, dans un moment « hégélien » de dépassement par l’incorporation de la critique. En réalité, une proposition divergente n’es pas perçue comme une occasion d’améliorer la ligne du parti mais de la désobéissance assimilée à de la déloyauté., comme le germe de la trahison. Simon Weil explique bien que la pensée du parti exerce une pression sur la pensée des individus qui le composent. On retrouve ici ce que Émile Durkeim appelle « la pensée collective », c’est à dire la pensée du groupe en tant qu’elle écrase et se substitue à la pensée individuelle. Il n’est pas attendu du militant qu’il exprime des idées mais qu’il soutienne celles du parti. Par conséquent, le militant qui se trouve en situation de divergence vis à vis de son parti doit faire le choix entre la fidélité au parti ou la fidélité à sa propre pensée. Fidèle à sa pensée, il est fidèle à lu même mais il trahit son parti. S’il renie sa propre pensée, il reste fidèle à son parti mais c’est lui-même qu’il trahit. Dans les deux cas il y a trahison. Le dilemme du militant est donc d’ordre moral : qui trahir ? A moins de renoncer purement et simplement à l’exercice de son esprit critique, la trahison est consubstantielle à l’appartenance à un parti politique. Tôt ou tard le membre d’un parti sera confronté à ce dilemme, trahir le parti ou se trahir lui-même.

« Si un homme, membre d’un parti est absolument résolu à n’être fidèle en toutes ses pensées qu’à la lumière intérieure exclusivement et à rien d’autres, il ne peut pas faire connaître cette résolution à son parti. Il est alors vis-à-vis de lui en état de mensonge. C’est une situation qui ne peut être acceptée qu’à cause de la nécessité qui contraint à se trouver dans un parti pour prendre part efficacement aux affaires politiques. Mais alors cette nécessité est un mal et il faut y mettre fin en opprimant les partis. Un homme qui n’a pas pris de résolution la résolution de fidélité exclusive à la lumière intérieure installe le mensonge au centre même de l »âme. […] On tenterait vainement de s’en tirer par la distinction entre la liberté intérieure et la discipline extérieure. Car il faut mentir au public, envers qui tout candidat, tout élu, a une obligation particulière de vérité. Si je m’apprête à dire, au nom de mon parti, des choses que j’estime contraire à la vérité et à la justice, vais-je l’indiquer dans un avertissement préalable ? Si je ne le fais pas, je mens. De ces trois formes de mensonge au parti – au public, à soi-même – la première est de loin la moins mauvaise. Mais si l’appartenance à un parti contraint toujours, en tout cas, au mensonge ; l’existence des partis est absolument inconditionnellement un mal. »

Pour Simone Weil, un esprit libre dans un parti politique, c’est comme un spécialiste de l’improvisation dans une pièce de Racine. Cela ne marche pas ! Cela ne peut pas marcher parce qu’il y a une incompatibilité des approches. Il y a conflit d’intérêt entre l’attachement à la vérité et l’unité du parti. Ce qui est normal parce qu’un parti politique n’est pas un club de réflexion, c’est une organisation qui cherche à faire avancer ses idées, pas à les contredire, pas à les mettre en cause ? Ce serait laisser apparaître une faille, c’est donner à l’adversaire une occasion de s’engouffrer dans cette faille et de le détruire. Au plus, est tolérée l’expression d’opinions divergentes, au plus la ligne du parti est brouillée, au plus est renvoyée l’image d’un parti morcelé et inconsistant, très mauvaise pour sa crédibilité.

Il n’est pas permis de douter quand l’objectif est de prendre le pouvoir. Il n’est pas permis de penser à haute voix. Cela peut paraître puéril mais c’est une réalité psychologique. L’expérience de Milgram montre que lorsque les représentants de l’autorité ne sont pas d’accord entre eux, celle-ci s’effondre parce que nous sommes plus enclin à respecter une autorité quand elle apparaît puissante et solide, sûre d’elle-même. Par conséquent , il n’y a pas de choix dans un parti qui se veut être efficace. Il doit atteindre son objectif qui est de créer l’adhésion pour accéder au pouvoir. Le parti doit faire taire les voix discordantes, quand bien même elles seraient du côté de la vérité. Les idées ne triomphent pas parce qu’elles sont vraies mais parce que la force est de leur côté.

2) La recherche du pouvoir

Le but principal d’un parti politique est d’accéder au pouvoir. Pour atteindre cet objectif, le parti doit gagner en force et en influence. C’est d’ailleurs concrètement qu’il doit grossir. Pour Simone Weil un parti politique recherche une croissance illimitée. Un parti politique ne possède jamais trop d’adhérents ou trop d’électeurs. Quand un parti se fait élire, il n’en a pas fini avec la quête du pouvoir parce qu’alors il se trouve confronté aux partis d’opposition, aux contraintes internationales. Autrement dit, le parti se trouve confronté à tout ce qui n’est pas lui qui représente dès lors une menace envers son pouvoir.
« Toute personne qui n’est pas moi est mon adversaire ! »
Pour Simone Weil, cette logique de croissance illimitée entraîne un retournement de la situation entre fin et moyen. Cela signifie que le but d’un parti politique n’est pas d’instaurer le bien commun mais de continuer à croître indéfiniment. Pour Simone Weil un parti politique n’est pas un moyen pour instaurer le bien, il devient lui-même le bien. Le parti politique devient lui-même sa propre fin, ce qui est très ennuyeux parce que tout ce qui est susceptible de favoriser la croissance du parti est un bien, y compris le mensonge, la compromission. Si le parti politique risque de perdre 5% des voix en disant la vérité, dire la vérité c’est trahir le parti, l’intérêt du parti. Être loyal envers son parti peut-être déloyal vis-à-vis de la vérité. Le but d’un parti politique n’est pas d‘avoir raison, mais de convaincre qu’il a raison. Le pouvoir ne se construit pas sur la vérité mais sur la croyance, la passion. C’est à ce titre que Simone Weil est pour la suppression des parti politiques parce pour elle, le bien ne s’identifie pas au pouvoir mais à la vérité.

Qu’est-ce que le bien ?

Au début de sa note sur la suppression générale des partis politiques, Simon Weil pose les termes de sa réflexion. Étant donné qu’il est question de savoir si les partis politiques sont un bien ou un mal, elle se se penche sur la définition du bien. Sa réponse est simple :

« Le bien, c’est la vérité »

Il lui pourrait être répondu que c’est sa définition du bien, ce qui est exact, mais Simone Weil ne s’arrête pas là.

« Le bien, c’est la vérité et la justice»

C’est inspiré de Platon :

« Le monde sensible est gouverné par des essences et la plus haute des essences c’est le bien, lequel se décline sous trois formes : la vérité, la justice et la beauté. »

La vérité est le bien dans le domaine de la pensée. La justice est le bien dans le domaine de la morale. La beauté est le bien dans le domaine des sens. Chaque modalité. Chaque modalité du bien correspond à chacune des parties de l’âme : la partie sensible située en bas, la partie morale située au milieu, la partie rationnelle située en haut. Évidemment, c’est une conception à laquelle, en tant que moderne, nous ne sommes pas habitués même si avec le vocabulaire que nous utilisons au quotidien nous pouvons constater cette unité entre les différentes formes du bien.

Par exemple, à la réponse à un problème mathématique nous pouvons dire qu’elle est vraie mais nous pouvons aussi dire qu’elle est juste ou qu’elle est bonne. Les trois mots fonctionnent. Quand nous parlons du jeu d’un comédien. Nous disons d’un bon comédien qu’il joue de manière juste. La pensée de Platon n’est donc pas si étrange. Elle consiste en des analogies et des correspondances entre les différents domaines de la réalité.

Quand Simone Weil nous donne sa définition du bien à laquelle elle adhère, c’est celle de Platon. Pour Platon, le bien dans le domaine de la pensée c’est la vérité et le bien dans le domaine de la morale c’est la justice. L’efficacité, la persuasion, le pouvoir ne font pas partie du bien. Cela pourrait appartenir aux moyens pour parvenir au bien à condition de ne pas oublier le bien en cours de route. Simone Weil estime que les partis politiques oublient le bien encours de route. Ils oublient qu’ils ne sont que des moyens en vue d’obtenir une autre chose et non pas une fin en soi. La parti pris de Simone Weil est celui de la morale de Kant contre les pratiques de la morale utilitariste. C’est la morale des principes contre la morale des résultats. Simone Weil écrit dans son texte que le bien c’est la vérité et la justice et en second lieu l’utilité publique. Ce n’est pas l’utilité publique qui compte le plus. On peut ne pas partager ce postulat moral, on pourrait choisir la morale utilitariste plutôt que la morale des principes ? Ce qu’il faut bien comprendre c’est que la condamnation des partis politiques par Simone Weil découle de cette conception morale. Pour elle, la morale est au dessus de l’intérêt, la vérité est au dessus de l’intérêt. Se rassembler autour d’intérêts est différent de se réunir autour de la vérité.

Le parti pris philosophique de Simone Weil est celui de Socrate contre les sophistes. De la même façon, il n’y a pas d’accroche possible entre Simone Weil et les partis politiques. Dans les deux cas nous avons affaire à un différent métaphysique. C’est à ce point de l’exposé que la célèbre phase de Simone Weil va réellement prendre sens.

« Les partis politiques sont des organismes publiquement, officiellement constitués de manière à tuer dans les âmes le sens de la vérité et de la justice.»

La critique des partis politiques que nous livre Simone Weil n’est pas seulement inspirée par Platon et sa métaphysique du bien. Elle a aussi des racines communes avec la pensée politique de Rousseau qui nous dit que dans une démocratie ce qui doit gouverner c’est la volonté générale. Or, la volonté générale n’est surtout pas la volonté de la majorité ou la somme des intérêts particuliers. La volonté générale c’est la volonté du peuple au-delà des intérêts particuliers. C’est la volonté du peuple en tant qu’entité unie par un intérêt commun que J.J. Rousseau appelle l’intérêt général, l’intérêt de tous et donc l’intérêt de chacun. Selon le critère de Rousseau le suffrage majoritaire n’est pas la démocratie. La démocratie n’est pas une notion quantitative. Il faut comprendre que la démocratie n’est pas le pouvoir du peuple, c’est le pouvoir de la raison du peuple. La raison est ce qui unit, la raison est universelle tandis que les passions sont individuelles. Les mathématiques mettent tout le monde d’accord parce qu’elles s’adressent à la raison. Si la raison est ce qui unit, la passion est ce qui désunit. C’est toujours la passion qui divise parce qu’elle a son siège dans l’ego, parce qu‘elle se heurte aux autres passions. On retrouve cette idée chez Platon. La raison est ce qui nous fait converger tandis que la passion est ce qui nous fait diverger.

Voilà pourquoi l’une des stratégies de domination en démocratie représentative c’est la manipulation des passions collectives qui détournent de la raison. Ce faisant, elles nous détournent de ce qui pourrait nous faire converger et donc de nous unir. C’est pourquoi on évite de trop donner la parole au peuple sauf quand il s’agit d’exciter quelques passions collectives. Pour Simone Weil, un peuple sous l’emprise de passions collectives ne peut être un peuple qui qui gouverne parce qu’il n’est déjà plus un peuple qui se gouverne, parce qu’on ne gouverne rien sans la raison. Nous ne sommes pas en démocratie.

« Nous n’avons jamais rien connu qui ressemble même de loin à une démocratie. »

Nous voyons là ce que Simone Weil pense de nos sociétés soi-disant démocratiques. Qu’en est-il des partis politiques ?

Les partis politiques

Les partis politiques sont au fondement de ce schéma de la passion collective parce qu’ils ne s’adressent pas à ce qui fait converger le peuple mais à ce qui le divise. A qui s’adresse un parti politique ? A une catégorie d’individus qu’on appelle un électorat pour lequel le parti politique devra servir ses intérêts. Si un candidat veut récolter les voix des fonctionnaires, il parlera par exemple de la hausse des salaires dans la fonction publique. S’il veut les voix des écologistes, il parlera protection de la planète. A chaque fois qu’un parti politique s’adresse à son électorat cible, il s’adresse en réalité à un groupe d’intérêts. Ces intérêts segmentent l’électorat. Par conséquent, un parti politique ne s’adresse pas à la raison de l’électeur, il s’adresse à ses passions. Le carburant d’un parti politique c’est la passion collective, la passion de ses militants, celle de ses électeurs et celles de ses opposants. Tout cela est nécessaire à la survie d’un parti politique, c’est son énergie.La segmentation des intérêts par l’intermédiaire des partis, c’est la distribution d’énergie collective à des organisations chargées de convertir cette énergie en pouvoir.

C’est en cela que Simone Weil voit dans les partis politiques le germe du totalitarisme parce que, dit-elle, les partis politiques sont des machines à fabriquer de la passion collective.

« Si une seule passion collective saisit dans un pays, le pays tout entier est unanime dans le crime. Si deux, quatre, cinq ou dix passions collectives le partagent, il est divisé en plusieurs bandes de criminels. Les passions divergentes ne se neutralisent pas, comme c’est le cas pour une poussière de passions individuelles fondues dans une masse ; le nombre est bien trop petit, la force de chacune est bien trop grande pour qu’il puisse y avoir neutralisation. La lutte les exaspère. Elles se heurtent avec un bruit vraiment infernal et qui rend impossible d’entendre même une seconde la voix de la justice et de la vérité, toujours presque imperceptible. Quand il y a passion collective dans un pays, il y a probabilité pour que n’importe quelle volonté particulière soit plus proche de la justice et de la raison que la volonté générale, ou plutôt que ce qui en constitue la caricature. La passion collective est l’unique énergie dont disposent les partis pour la propagande extérieure et pour la pression exercée sur l’âme de chaque membre. On avoue que l’esprit de parti aveugle rend sourd à la justice, pousse même d’honnêtes gens à l’acharnement le plus cruel contre des innocents. On l’avoue, maison ne pense pas à supprimer les organismes qui fabriquent un tel esprit. La conclusion, c’est que l’institution des partis semble bien constituer un mal à peu près sans mélange. Ils sont mauvais dans leur principe, et pratiquement leurs effets sont mauvais. La suppression des partis serait du bien presque pur. Elle éminemment légitime en principe et ne paraît susceptible pratiquement que de bons effets. »

La passion est ce qui désunit et la raison est ce qui unifie. La passion crée les conflits, crée les tragédies et les trahisons. La raison crée la convergence, elle crée l’union et la vérité. La raison est la pièce de notre esprit qui nous permet d’être en contact avec le vrai. Platon appelait cela le «noûs», le cheval blanc de l’âme, cette dimension de l’esprit par laquelle nous nous affranchissons de nos passions individuelles, du poids de notre ego pour embrasser l’universel. Peut-être est-ce cela la clé de lecture de ce texte : que le pouvoir du peuple suppose la raison du peuple, la convergence au dessus des passions, au dessus des intérêts particuliers. Les dirigeants ne peuvent diriger un peuple qui se dirige seul. Se diriger c’est, non seulement se gouverner, mais c’est aussi se donner une direction vers laquelle converger. Il n’est pas facile de trouver cette direction mais, comme dit Spinoza :


« Tout ce qui est beau est difficile autant que rare »

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