Extrait du livre majeur de Ernesto Sabato qui rend compte de la crise universelle qui allait venir en Occident. Son expérience de physicien, qui s’était soldée par une crise existentielle, le plaçait en effet aux premières loges pour remarquer que la science, création de l’homme, avait échappé à son contrôle et allait lentement l’asservir et le transformer en rouages d’une grande machinerie.
En guise d'éditorial : La biophobie tue par Pièces et main d’œuvre
Dans la foire aux phobies qui se disputent la compassion des badauds, la plus grave et la plus réelle, mais aussi la plus dissimulée, c’est la biophobie. Que la biophobie tue, tue vraiment en masse, des millions d’espèces et d’individus, chacun le sait. ll suffit de regarder autour de soi. Fort peu en tirent de conséquences.
La biophobie ne figure pas dans la liste de 213 phobies relevée ensuite, de « l’acarophobie », phobie des mites, à la « zélophobie », la peur de la jalousie. Mais la « transphobie » et l’« islamophobie », non plus. Ces dernières ne sont d’ailleurs pas des phobies au sens convenu, juste des abus de langage.
Il est congru que les plus extrémistes des technocrates et les transhumanistes nous dénoncent, nous les écologistes et naturiens, comme « bioconservateurs », c’est-à-dire soucieux de conserver/préserver la vie. Et eux, qui se nomment « techno-progressistes », que veulent-ils ? – le progrès des technologies. Telle est la ligne de front qui sépare les humains d’origine animale des inhumains d’avenir machinal – des biophobes.
Tous les Hercules de foire s’empoignent au nom de leurs risibles « phobies » – tous plus « victimes » et « stigmatisés » les uns que les autres et appelant à la « convergence des luttes » contre leurs « phobies » respectives. Mais à la fin de la foire, seule la biophobie, la peur haineuse de la nature, les réunit, alors qu’ils devraient d’abord soigner la nature, la défendre et la sauver. Lorsqu’ils l’auront enfin vaincue, lorsqu’ils auront enfin triomphé, bientôt, dans leur guerre au vivant, il n’y aura plus ni hommes, ni femmes ni ambigüs, ni blancs, ni noirs ni métis, ni homos, ni hétéros ni bisexuels, ni humains, ni animaux ni végétaux ; plus rien que l’universalité des cadavres chantée par Zao l’Africain :
Quand viendra la guerre mondiaux
Tout le monde cadavéré (…)
Voir aussi: l’appel des chimpanzés du futur.
L’IA et la restructuration du capital à l’échelle mondiale par Denis Collin
Antonio A. Casilli produit avec ce livre une analyse remarquable des soubassements de l’économie de l’internet et des transformations en profondeur qu’elle fait subir au mode de production capitaliste. Au lieu de s’ébahir sur les miracles des machines ou de dénoncer les GAFAM, il montre les mécanismes qui permettent aux grands propriétaires des plateformes de centraliser la plus-value. Ce mécanisme est généralement masqué derrière « l’intelligence artificielle » qui n’est rien d’autre que le moyen de mettre les hommes au service des machines. La meilleure métaphore de cette intelligence artificielle, c’est le joueur d’échecs mécanique du baron von Kempelen (1769) un pseudo-automate représentant un ottoman jouant aux échecs, animé par un nain caché dans les mécanismes et qui dirige les mouvements de la marionnette grâce à un système de miroirs qui lui montre l’échiquier. Significativement, Amazon a baptisé son organisation de distribution de « digital labor » « Mechanical Turk », révélant ce qu’est la réalité du traitement massif de données (« big data ») par la soi-disant « intelligence artificielle ».
XII/ La fin de la politique
12ème chapitre du « Manifeste contre le travail ». En 1999, alors que déjà le mouvement alter-confusionniste néo-keynésien et son idéologie alter-capitaliste de défense des « services publics » déployait tout juste au lendemain du contre-sommet de Seattle, la léthargie croissante de son anticapitalisme tronqué contre le seul « capitalisme financier », la revue allemande « Krisis » fondée en 1986 par Robert Kurz, Norbert Trenkle, Ernst Lohoff, Roswitha Scholz et Peter Klein, décidait de synthétiser en un nouveau grand Manifeste ses réflexions théoriques en rupture avec l’ensemble des courants marxistes du XXe siècle et plus encore avec cette gauche néo-keynésienne, dans un livre à large diffusion : le fameux Manifeste contre le travail.
Palim Psao
L’individu tyran par Éric Sadin
Dans son nouvel ouvrage « L’Ère de l’individu tyran. La fin d’un monde commun (Éditions Grasset), Éric Sadin analyse le phénomène inquiétant de l’émergence d’individus se croyant autonomes et tout-puissants alors qu’ils sont le produit d’une soumission à la croissance et au néolibéralisme.
L’article se compose de la quatrième de couverture du livre et d’un extrait de l’entrevue qu’il a donnée au journal « La décroissance N°154 »
« Réflexions sur le racisme » par Cornelius Castoriadis
Exposé au colloque de L’ARIF « Inconscient et changement social », le 9 mars 1987.
Publié dans Connexions, n° 48, 1987,
puis dans Les carrefours du Labyrinthe III – Le monde morcelé, 1990, Seuil
(mis en ligne en 2009 sur le site du collectif Lieux communs).
Nous sommes ici, cela va de soi, parce que nous voulons combattre le racisme, la xénophobie, le chauvinisme et tout ce qui s’y apparente. Cela au nom d’une position première : nous reconnaissons à tous les êtres humains une valeur égale en tant qu’êtres humains et nous affirmons le devoir de la collectivité de leur accorder les mêmes possibilités effectives quant au développement de leurs facultés.
XI/ La crise du travail.
11ème chapitre du « Manifeste contre le travail ». En 1999, alors que déjà le mouvement alter-confusionniste néo-keynésien et son idéologie alter-capitaliste de défense des « services publics » déployait tout juste au lendemain du contre-sommet de Seattle, la léthargie croissante de son anticapitalisme tronqué contre le seul « capitalisme financier », la revue allemande « Krisis » fondée en 1986 par Robert Kurz, Norbert Trenkle, Ernst Lohoff, Roswitha Scholz et Peter Klein, décidait de synthétiser en un nouveau grand Manifeste ses réflexions théoriques en rupture avec l’ensemble des courants marxistes du XXe siècle et plus encore avec cette gauche néo-keynésienne, dans un livre à large diffusion : le fameux Manifeste contre le travail.
Palim Psao
En kiosques
N° 214 – Novembre 2024 : La croissance accro à la dette
- Agenda des amis de La Décroissance
- Courriers
- A croissance en faillite, dette sans limite, par Denis Bayon
- Éditorial : Marx, par Vincent Cheynet
- Dette financière, dette écologique : retour au réel, interview de Pierre-Yves Gomez
- Chronique d’Alain Accardo : Tout à refaire
- Start-up nation : la fête est finie, par Denis Baba
- Saloperie : La zone à faibles émissions, par Raoul Anvélaut
- Écotartufe : Michel Barnier, par Pierre Thiesset
- Simplicité volontaire : Lire délivre, interview d’Olivier
- L’action du mois : Lire Thoreau et Camus
- Lectures
- La guerre automatisée, interview de Patrice Bouveret
- Lectures
- Chronique de François Jarrige : L’écologie carbonisée
- Bédé : Mich-Mich, le BHL de la décroissance
- La chronique psy : Santé mentale : les robots ou la parole ?, par Laurence Savignon
- Casseurs de pub : Publicité intime chez Ford, par Jean-Luc Coudray
- Lectures
- International : Un marxisme décroissant, interview de Kohei Saito
- Lectures
- Foldingue : Maison de fous
- La décroissance a-t-elle encore quelque chose à attendre de la gauche ?, avec Cyrille Martin, Marie-Hélène Dupy et Jean-Michel Besnier
- Le pacte du mois de Nicolas Bertrand : Monnaie de singes
- Chronique antinucléaire de Stéphane Lhomme : Il faut faire Gafam au nucléaire !
Le Monde diplomatique - Novembre 2024
-
Féminicide, itinéraire d’un mot pour dire le crime
-
Dossier : introuvable paix au Proche-Orient
- Les dilemmes du monde arabe
- Le triomphe sanglant de Benyamin Netanyahou
- À Beyrouth, sous les bombes
- Le Hezbollah après Nasrallah
- Quel avenir pour les Palestiniens ?
- Violences au paroxysme en Cisjordanie
- Il y a trente ans, l’autre Grande Dépression
- Recherche française en Antarctique, une ambition négligée
- Le retour du travailleur sur la scène politique américaine
- Pourquoi l’intelligence artificielle voit Barack Obama blanc
- Pékin-Washington, qui fixera la norme ?
- Le clair-obscur du cinéma iranien
- De l’« ordre fondé sur des règles »
- Le Congrès américain contre McKinsey
- Le vrai visage de l’extrême centre
- Pour une Sécurité sociale de la mort
- Changer l’angle de la réalité
- Plastique, l’escroquerie du recyclage (…)
La Brouette - num 3 - Je résiste !
Dans ce numéro 3 La Brouette…
…La Brouette chemine de l’angoisse à la joie…
Un voyage en brouette, d’Angoisse à La Joie !
…part aux champignons pas bons…
Voter décroissance… pour rester en vie !
…s’échauffe avec effroi…
Le passe-pore pour la peur
…se faufile entre les pieds de Goliath…
Culte du Gigantisme
…s’anquiert de Madame Brouette…
Féminicène
…traverse le vide…
Le désert des Tartares
…salue celles et ceux qui n’ont pas déserté…
Suspendue
…se sort (à regret) d’un beau pétrin…
Un boulanger… des croissants
…et d’ailleurs y retourne…
Manger du pain est un acte politique
…et tant qu’à faire, se tartine un bon fromage…
Merci pour la Bêle Listoir
…accompagne un étonnant facteur…
Révolution
…plane, plane, plane et renomme…
Un lieu (bien) dit
…roule avec une consœur au jardin…
Y a pas que la brouette dans la vie !
…goûte à la cuissine sud-américaine…
La soupe aux cailloux, recette franco-colombienne
…s’empiffre de joie…
La recette de la joie
…ne manque pas de calot…
Une petite bille
…et se remplit la caisse de bons bouquins pour…
Vivre et lire !
…et commence sa lecture par une petite nouvelle…
La cigale et la formica
Contact : votezbrouette@gmail.com
Brouette et ses fameuses vidéos de Casserole TV sont sur YouTube (Tapez votez brouette Youtibe)
Revue de presse
Entretien. La technologie sauvera-t-elle la planète ?
Aux écoanxieux s’opposent ceux qui ne nourrissent aucune crainte concernant l’avenir : ces derniers croient en la technologie comme on croit en Dieu, une force suprême qui viendrait nous sauver de l’apocalypse annoncée. Parmi eux, le climatosceptique Laurent Alexandre, fondateur du site Doctissimo, ou Luc Ferry, ancien ministre de l’Éducation nationale. Ils considèrent que les technologies qui vont changer la mécanique de destruction du monde n’ont pas encore été inventées. Elles pourront aisément endiguer le réchauffement climatique et fournir à volonté de l’énergie moins chère, et plus propre. Cette conviction porte un nom : le « technosolutionnisme ». Le problème, c’est que la création sans fin de nouvelles technologies conduit avant tout à légitimer nos modes de vie et, surtout, à ne rien changer. Quitte à détruire inévitablement la planète. Entretien avec l’historien François Jarrige, auteur d’On arrête (parfois) le progrès. Histoire et décroissance (éd. L’Échappée, 2022).[…]
Le technosolutionnisme empêche les changements profonds de nos comportements et de notre rapport au monde, et représente un coût environnemental énorme. Tous les gains d’efficacité obtenus depuis quinze ans grâce au progrès technique ont été absorbés par de nouveaux usages et de nouvelles formes de consommation.
Entretien avec l’historien François Jarrige
Sur charlie hebdo.fr
Les origines. Pourquoi devient-on qui l’on est ?, par G. Bronner
[…]la réussite scolaire d’un enfant issu d’un milieu défavorisé ne résulte pas seulement de la rencontre de l’individu-élève avec l’institution scolaire qui aura su l’arracher à son milieu. Elle peut également être attribuée au milieu familial lorsque celui-ci fait confiance à l’école. Gérald Bronner prend l’exemple de la joie intense de sa mère apprenant de lui sa réussite à l’examen du baccalauréat. Pareille admiration affectueuse procure une confiance existentielle durable. Mais Bronner ajoute, suivant en cela Durkheim, qu’une attente trop forte du milieu familial peut avoir un effet démobilisateur, tant est forte l’angoisse de décevoir en ratant. Ce livre gagne à être lu autant pour ses analyses alertes que pour sa réfutation salutaire des politiques du ressentiment et de la vengeance. Il pose des questions essentielles sur les limites de la méritocratie dans une République qui n’a pas tenu ses promesses, l’égalité des droits n’ayant pas entraîné l’égalité des chances. Ce faisant, il confirme le besoin pour la République laïque d’être également une République sociale, sous peine de ne pas être à la hauteur de ses ambitions.
Sur ResPublica La critique d’un essai du sociologue Gérald Bronner paru en janvier 2023 qui prend place dans la collection « Les Grands mots » (Autrement/Flammarion) qui propose des ouvrages croisant analyse rationnelle et récit autobiographique.
Le nouveau péché originel par Paul Ducay
L’Homme doit être repensé comme appartenant aux milieux naturels et surnaturels qui le voient naître et qui recoupent l’ensemble de ses dimensions constitutives, de la sensibilité corporelle à l’intellectualité spirituelle en passant par la rationalité psychique. Retrouver ce ternaire, c’est réapprendre à voir ce dont le Ciel et la Terre sont les symboles pour l’Homme qui les contemple, debout, mais jugé dans ses actions. L’Homme de Vitruve doit céder la place à L’Angelus de Millet. La crise écologique cessera lorsque l’homme, agenouillé sur la terre labourée, préférera envoyer son âme dans les cieux en brûlant de l’encens, plutôt que ses avions en brûlant du kérosène.
Paul Ducay
Dans le numéro 13 de la revue PHILITT: « Quel destin pour l’homme de demain ? »
PHILITT propose une réflexion sur les modes de vie contemporains. Quelles sont les nouvelles aliénations ? Que peut bien signifier renouer avec une supposée authenticité ? Comment comprendre cette volonté nouvelle de ralentir ? Allons-nous vers un retour à l’essentiel ou vers une société désincarnée où le relationnel est détruit ? Faut-il formuler une nouvelle définition de l’homme et de la culture ?
Le système technologique par Darren Allen
Il est frappant de constater, en discutant de ces questions, à quel point les contre-arguments sont similaires à ceux des adeptes d’une religion, car il s’agit bien d’une religion. Elle a ses grands prêtres et ses fanatiques, et elle a ses croyants ordinaires et ses laïcs déchus, mais indépendamment de la conscience que les individus ont de leur technophilie, tous sont intégrés dans le système qui la produit. Nous vivons au rythme de la machine, nous nous enveloppons dans ses boucliers, nous filtrons nos sens à travers elle et, si nous en sommes propriétaires ou gestionnaires, nous en tirons notre subsistance. Nous sommes déjà des cyborgs, notre intelligence est artificielle, notre réalité est déjà virtuelle. C’est pourquoi, même si un contemporain typique pourrait ne jamais avoir prononcé un mot pour le défendre, il s’opposera à l’idée que nous sommes prisonniers du système technologique, qu’il n’est pas réformable, qu’il n’est pas «neutre», qu’il a ses propres priorités, qu’il dirige le monde et qu’il détruit l’homme et la femme, exactement de la même manière que tous les croyants s’opposent au dévoilement de l’illusion dans laquelle ils vivent: par le silence, le ridicule, le sophisme, la peur et la violence.
Lettres du lac de Côme de Romano Guardini : le pressentiment de l’odieux panurgisme qui maintenant nous déshonore, par Gregory Mion.
La toute première impression, en lisant ces splendides et impressionnantes Lettres du lac de Côme de Romano Guardni, c’est de douter franchement de leur date de composition et de publication, tant elles paraissent avoir été rédigées hier, avant-hier tout au plus, et cela bien sûr en dépit même du fait que les horreurs massives de la Seconde Guerre mondiale ne pouvaient que démentir radicalement les espoirs affichés par l’auteur dans sa toute dernière lettre, assez étrange et comme contrainte, que nous évoquerons plus avant.
En tout cas, le préfacier a raison de noter que si «l’expérience nazie» est «si profondément liée au traumatisme de la guerre mondiale [qu’elle] reste un jalon essentiel», nous ne devons toutefois pas «occulter ce que, précisément, le petit livre de Guardini cherchait à pointer du doigt et dont la ligne directrice visait, bien au-delà de la trop visible barbarie montante, un point de non-retour à partir duquel la barbarie n’apparaîtrait plus comme la pure et simple négation de l’humanité mais se révélerait comme la conséquence logique d’un développement du phénomène humain déterminé par ses propres moyens d’autodétermination».
Pierre Fournier, « Terres libérées. Où ça ? »
« La Nature », nous ne savons pas du tout ce que c’est. Nous ne savons pas ce qui, dans nos comportements, est dicté par « la Nature » ou par des conditionnements dont l’hérédité culturelle a pu faire une seconde nature. Il est probable que nous ne pouvons pas le savoir, et que nous aurions tort de chercher à le savoir. Il vaut mieux essayer de recréer par tâtonnements, sans a priori, des conditions de vie telles que la Nature et la Culture puissent, en nous, cohabiter paisiblement, s’accorder.
Je n’écris pas ça pour juger sans connaître. Il n’est pas exclu, par exemple, que la sexualité de groupe soit, en fournissant à plus de deux adultes la satisfaction de l’instinct maternel et paternel offerte par un seul enfant, une incitation à la régulation des naissances, qui est aujourd’hui de première nécessité. Ni que cette forme de partage sans exclusive soit un préalable utile à la substitution d’une économie de partage à une économie d’échange, qui est bien le but final du mouvement communautaire. Mais – le récent rapport Simon semble le démontrer – l’évolution générale va dans l’autre sens, celui d’une affirmation du couple, et ceci au moment et dans la mesure où la jeunesse s’affranchit de la morale sexuelle bourgeoise. Sur ce plan comme sur beaucoup d’autres, la vague communautaire semble accuser un retard, enfoncer des portes que l’ensemble de la société a déjà franchies sans s’en apercevoir, à travers un processus naturel, de passage d’un compromis à un autre, celui dont les communards justement, dans leur enthousiasme épuré, ne voient pas assez la nécessité. Bref, le mouvement communautaire, jusqu’à aujourd’hui, semble s’être enlisé dans les marges par manque de réalisme, par goût des solutions toutes prêtes, par la fascination qu’exerce le modèle « contre-culturel » américain (nous sommes tous, dans le monde d’aujourd’hui, les provinciaux de l’Amérique).
Les deux grandes innovations du XXe siècle
La première a consisté dans le surgissement d’un régime totalitaire à partir de 1917 en Russie, dont l’analyse lucide demeure hors de portée de la plupart des héritiers de l’aspiration socialiste. Celle-ci, formulée dans les années 1840 comme un nouvel Évangile, s’est nécrosée au fur et à mesure de ses succès politico-militaires. Le processus a culminé dans l’établissement de régimes “soviétiques” sur un tiers des terres émergées pour produire un naufrage historique exceptionnel : ils prétendaient “sortir du capitalisme”, où ils n’étaient guère “entrés”(si tant est que cet “isme” de la théologie marxiste ait un sens) et passer aussitôt à un développement qualitatif nouveau. Ces régimes ont abouti à l’exact contraire des objectifs revendiqués en faisant bien pire que les sociétés qui ont donné naissance aux mécanismes capitalistes : ils furent les plus féroces exploiteurs et les plus terribles tueurs de masse d’ouvriers et de paysans. La plupart des totalitarismes, toujours plus ou moins concurrents, sont nés sur des substrats anthropologiques extra-occidentaux, et dans des aires historiques d’États impériaux à forte structuration bureaucratique. Seules l’Italie et l’Allemagne, terrains de nostalgie impériale dissonante avec leur nature d’État-nation, appartenaient à l’univers occidental, dont elles cherchaient à sortir. Ces deux dernières variantes ont été militairement vaincues et démantelées et ces pays ont tout naturellement retrouvé leur enracinement occidental.
La seconde innovation s’est cristallisée après 1945 sous la forme d’une société de consommation développée depuis les États-Unis où elle avait point dès les années 1920. Cette expansion, particulièrement inattendue dans l’Ancien Monde, a été perçue comme la première approximation effective d’une société d’abondance enfin advenue. Ces dispositifs ont gagné de proche en proche la plus grande partie de l’Occident (c’est-à-dire l’Amérique du nord et les nations européennes reposant sur un substrat catholique ou protestant). Elles ont également pris racine au Japon, en Corée du Sud et dans les pays de diaspora chinoise, toutes sous influence occidentale durant la guerre froide, cette troisième guerre mondiale auto-limitée. Les héritiers du mythe socialiste après avoir rechigné au développement keynésien, en déclarant qu’il allait détourner les ouvriers du “socialisme”, ont fait mine de le récupérer et de prétendre en être à l’origine. De fait, ils interprètent les mesures de pilotage de l’économie comme une idée qu’ils auraient toujours défendue, mais leur tendance simpliste vise crûment à accaparer l’argent où qu’il se trouve, en considérant qu’il y aura sans cesse des gisements de richesse à piller pour faire “tourner” une économie administrée. De fait, alors que les socialistes promettaient une société de rationnement et de pénurie, ils ont été littéralement débordés par cette société de consommation, dont les conditions de réalisation demeurent en général ignorées. Il se trouve, pour des raisons géologiques et historiques, que ces conditions s’affaiblissent aujourd’hui. L’accumulation des pollutions, la raréfaction visible des ressources minérales et énergétiques, l’oubli des conditions sociales et culturelles favorisant une capacité de travail acharné et une allocation de ressource efficace par un marché encadré, conjuguent leurs effets pour miner cet avènement exceptionnel.
Si les régimes totalitaires sont finalement apparus comme un enfer sur terre, les sociétés de consommation, surtout vues de loin, ont pris l’allure de paradis fascinants. Après le tournant chinois de 1976-1979, qui voit la mise au rancart des hallucinations maoïstes, puis l’effondrement soviétique de 1991, cette société de consommation en est venue à incarner une aspiration générale sur la planète, mais sous la forme simpliste d’une accumulation automatique de produits, dont on ne se demande jamais quelles en sont les contreparties.
Ces deux innovations du XXe siècle demeurent les deux repères fondamentaux de l’histoire en cours.
Aurélien Berlan, postface à « Du satori à la Silicon Valley » de Theodore Roszak
Depuis quelques années, dans un contexte où l’accélération du désastre socio-écologique relance la critique radicale, il réémerge en tant que fondateur de l’écopsychologie. Ce prisme-là peut toutefois induire en erreur sur la pensée de l’essayiste et historien californien, tant l’écopsychologie, telle qu’elle est vendue dans les rayons « développement personnel » des librairies, conduit à dépolitiser l’écologie et à nourrir le greenwashing ambiant, à rebours des intentions de celui qui a forgé le terme (3). Ce faisant, Roszak voulait souligner que l’impasse socio-écologique dans laquelle nous nous enfonçons était le symptôme d’une profonde aliénation psychique, liée au primat de la vision scientiste et technocratique du monde (ce qu’il appelle la « conscience objective (4) »). En sortir suppose donc de libérer l’écologie des griffes des gestionnaires du « système-Terre » pour en saisir la portée subversive sur les plans social, culturel et spirituel. À la manière du groupe français Survivre et vivre (5), Roszak défend une critique de la modernité industrielle qui, loin de se cantonner à la dénonciation de la quête de profit, inclut une critique de la technoscience et de sa conception étriquée de la rationalité. L’écologie doit prendre la forme d’une contre-culture (autre notion qu’il a sinon forgée, du moins contribué à diffuser), à la fois contre l’establishment conservateur et ses critiques progressistes – qu’il s’agisse de la gauche classique ou de la « nouvelle gauche ». Et c’est à ce titre qu’il suscite à nouveau de l’intérêt, à l’heure où les invitations à « déserter » la Grande Armée du Progrès industriel et à combattre sa politique de la Terre brûlée se multiplient comme dans les années 1960 et 1970.
La sobriété pour sauver la planète ?
ResPublica
La sobriété est à la mode ; c’est même elle qui va permettre de lutter contre les dérèglements climatiques, permettre la réduction des rejets de gaz à effet de serre et arriver à la neutralité carbone en 2050. Le terme est utilisé aussi bien par le gouvernement, les grands patrons et banquiers, des universitaires, les partis politiques que par la plupart des associations et ONG se réclamant de l’écologie, de la lutte pour l’environnement, la biodiversité ou contre les dérèglements climatiques ainsi qu’une bonne partie de la presse qui s’en fait un vecteur zélé. Après la résilience, nous sommes devant un nouveau mot-valise qui semble nous offrir la solution aux crises produites par un système d’exploitation sans limites, mais qui, comme souvent, « noie le poisson », car les responsabilités y sont diluées, ni explicitées, ni hiérarchisées ; ce qui permet de gloser, de faire accroire que la solution est accessible sans jamais aborder le problème au fond et donc de maintenir le système de production capitaliste en place.