Élections 2022 par « Lieux communs »

28 Nov 2022

Les élections françaises suivent depuis des décennies une trajectoire en spirale descendante : chaque scrutin accentue les traits les plus régressifs du précédent. Les non-campagnes électorales n’arrivent même plus à cacher la nullité des prétendants tandis que le délabrement omniprésent de la société est devenu un fait admis. Cachée par une apparente continuité institutionnelle, la crise de régime larvée révèle un chaos idéologique et social qui s’approfondit et nous fait entrer dans un univers de moins en moins familier.

Le paysage politique français semble se découper en trois ensembles distincts; le parti du pouvoir, les partis-zombies et l’ensemble de la population.

Le parti du pouvoir est le parti unique médiatico-oligarchique, qui a progressivement émergé au fil des alternances électorales depuis au moins quarante ans.
La décomposition sans fin des partis de «gauche» et de «droite» aura finalement formalisé cette nébuleuse composite autour de E. Macron. Ces cercles technogestionnaires, assujettis aux organismes transnationaux (Ue, Otan, Onu, Oms, Giec…), administrent au jour le jour les affaires courantes en accompagnant cahin-caha les tendances lourdes de notre époque. Ce clan ne gouverne pas mais règne, surplombe une société éclatée, archipellisée en négociant au coup par coup entre corporations, lobbies, clans, communautés et réseaux sans ligne idéologique clairement identifiable. Les sempiternelles accusations de « néolibéralisme » préfèrent ignorer l’énorme techno-bureaucratisation d’une société presque entièrement sous perfusion permanente de financements publics, donc aux ordres. Ce parti se réclame de l’ordre et de la paix, à mesure qu’il travaille à leur disparition, multipliant les injonctions paradoxales pour instiller une terreur souriante.
Il s’appuie sur les classes les plus aisées et ceux qui aspirent à s’y insérer, coalition des divers secteurs bénéficiaires de la mondialisation et comptant bien le rester, quoi qu’il arrive et quoi qu’il en coûte.

Toute recomposition populaire des repères politiques, culturels ou anthropologiques ne pourra se faire que par la pulvérisation de ce brouillard idéologique à partir des réalités vécues et hors des chantages à l’orthodoxie.

Les partis-zombies sont ces nébuleuses mouvantes et arrivistes prétendant à l’opposition et à l’alternative.
Ils cultivent à dessein le faux clivage idéologique « gauche-droite » permettant de rabattre l’exaspération populaire sur les formes stériles de l’électoralisme. Les ravages des totalitarismes ont converti la gauche à la seule conquête et gestion de l’État et forcé la droite à incorporer lesfondements du gauchisme culturel. Cette célébration dans le politiquement correct entre la « social-démocratie » et la « droite libérale / néo-gaulliste » a accouché du parti du pouvoir. Mais elle a aussi mécaniquement engendré, depuis une décennie, la reformation de poses radicales sur des bases « populistes ». C’est ici que la confusion des mots et des idées est portée à incandes­cence : les notions hier « de gauche » comme le travail, la nation, la laïcité ou la liberté ont été échangées contre les principes de charité publique, d’importation de main-d’œuvre, de soumission religieuse et de censure néo-moralisatrice ; tandis que « la droite », historiquement partisane de l’élitisme héréditaire, du séparatisme culturel ou de mise en concurrence mondialdes travailleurs, vante aujourd’hui la méritocratie scolaire, l’assimilation des étrangers et la préférence nationale. Ce qui pro quo est verrouillé par la bien-pensance, et pourri d’anathèmes, de démagogie, de clientélisme et d’arrivisme où même les éléments de vérité sont défendus par des mensonges.
Toute recomposition populaire des repères politiques, culturels ou anthropologiques ne pourra se faire que par la pulvérisation de ce brouillard idéologique à partir des réalités vécues et hors des chantages à l’orthodoxie.

La population française s’est elle-même résignée au poison délicieux de la société de consommation après les massacres totalitaires du XXe siècle.
Installée dans l’imaginaire de la croissance du niveau de vie et de la paix civile depuis les mythiques Trente Glorieuses, elle sait avoir tout à perdre des transformations en cours. Les multiples insécurités s’amplifient et se multiplient, sociales, culturelles et maintenant physiques, effritant peu à peu un quotidien vécu comme l’aboutissement de l’histoire universelle. Elle prend lentement conscience des basculements de mondes qui s’opèrent et entraînent sa disparition pure et simple en tant qu’unité culturelle, acteur politique et sujet de son destin. Du « vote anti-système » ou « flottant » à l’abstention massive, du mouvement des gilets jaunes aux complotismes multi­formes, ses multiples réactions expriment un instinct de survie qui ne semble déboucher que sur le désespoir et la dépression.
Progressivement, son univers se clôt dans le divertissement et l’insignifiance, tissant un ensemble de colère rentrée, de cynisme angoissé, de conformisme apeuré et de dépendance technologique du berceau à la tombe – renforçant le monopole d’un pouvoir qui ne compte plus rendre de comptes à personne.

Cette situation est l’aboutissement d’un pourrissement depuis deux ou trois générations. Elle découle, en dernière analyse, du retrait historique des peuples européens de la scène politique après avoir métamorphosé leurs sociétés médiévales. Les institutions occidentales, notamment républicaines, ayant été forgées dans ces conflits multiséculaires, sinon millénaires, ce que l’on appelle crise politique ou institutionnelle est en réalité un régime dont les fondements se sont dérobés, devenu hors-sol, symptôme d’un délabrement civilisationnel. La situation peut être qualifiée de méta-stable, ou en surfusion, capable de basculer brusquement. Derrière cette stabilité trompeuse, la confusion se généralise dans tous les domaines et la désagrégation sociale se présente comme un emboîtement de cercles vicieux que rien ne paraît pouvoir enrayer. Il s’agirait alors de comprendre si le chaos qui s’étend accouchera d’un autre ordre, et lequel.

Différentes grilles de lecture ont été avancées : progressistes contre conservateurs ; bloc élitaire versus bloc populiste ou mondialistes opposés aux patriotes ; métropoles et banlieues face à la France rurale et périphérique ; etc. En réalité, et de tous points de vue, le délitement occidental est d’abord la fin de toute créativité historique et populaire qui nous arrache au projet démocratique pour laisser s’installer un univers de type impérial, caractérisé par un état autoritaire et surplombant, ponctionnant un troupeau humain irrémédiablement atomisé en classes, communautés, statuts, territoires, religions, corporations, lobbies… Cette tendance historique oriente profondément l’évolution du paysage politique.

L’État impérial est évidemment préfiguré par le parti médiatico-politique, qui s’affranchit progressivement de tout dispositif démocratique, contrôlant la sphère économique et creusant les écarts de richesse, rançonnant les fractions de populations soumises et désarmées, promouvant et recrutant celles capables d’exercer leur domination, arbitrant la concurrence généralisée des producteurs entre eux, accélérant leur émiettement social et leur éclatement culturel par l’ingénierie migratoire intra et internationale. La seule direction gouvernementale de la caste macronienne est cette realpolitik, qui aménage cette pente vers laquelle tout semble converger et d’abord la pression géopolitique des aires impériales chinoise, russe ou turque entrées en concurrence mimétique.

La fausse dissidence est assurée aujourd’hui par les partis-zombies. Ils œuvrent à rendre inconcevable toute unité populaire, d’abord en entretenant l’illusion d’une incompatibilité entre la question sociale et la question identitaire ou nationale, puis en les instrumentalisant au profit des dynamiques impériales.

Le cartel des « gauches » emmené par J. L. Mélenchon se pose en rentier des souffrances des déclassés mais exprime plus le consumérisme contrarié. Il réveille les tropismes millénaristes en faisant miroiter un monde d’abondance illimitée, de technologies salvatrices et de réconciliation universelle. Sinistre héritier du totalitarisme communiste, il en reprend l’ambition : la destruction par tous les moyens de l’inventivité historique occidentale, profondément étrangère à la logique impériale. Ses moyens sont le sabordage de ses repères culturels et anthropologiques (« wokisme ») et l’alliance avec ses ennemis mortels que sont l’islamisme, le communitarisme et le racialisme aujourd’hui connectés à une délinquance de gangs devenue envahissante. L’éloge des régimes autoritaires, russe ou latinos, rejoint sa complaisance pour l’impérialisme capillaire musulman. Le sabotage du mouvement des gilets jaunes par ces militants montre que ces mouvances incarnent l’avant-garde de la destruction de l’expression populaire par l’imposition d’une Novlang.

Les divers débris de la « droite » capitalisent facile­ment l’horreur que ces perspectives soulèvent chez un peuple qui refuse son dépeçage. Les Le Pen et Zemmour monopolisent la question identitaire ou nationale, profitant de la panique montante face aux monumentaux basculements démographiques et culturels. Leurs diatribes plus ou moins martiales contredisent le « progressisme » techno-capitaliste qu’ils louent mais dont le principe est précisément de court-circuiter toute possibilité d’auto-limitation, frontières et traditions en premier lieu. Ces pseudo-conservateurs ressassant des grandeurs passées refusent de distinguer la constitution historique d’une Europe polycentrique et les poussées unificatrices impériales, jusqu’ici inabouties et dont ils sont en réalité nostalgiques. Ici aussi les trahissent leurs affinités avec un régime russe renouant avec ses ambitions colonisatrices.

Les populations françaises, et plus généralement européennes et occidentales, ayant tissé au cours des siècles de multiples dispositifs de contrôle de l’État, se retrouvent littéralement livrées à une nouvelle sauvagerie. Les classes populaires sont prises en tenaille entre une couche dominante parasitaire qui la ponctionne et lui interdit toute réaction et la démultiplication des prédations, razzias et terreurs exercées par une néo-barbarie importée. Leur seul horizon plébiscité est celui de la souveraineté populaire, ou démocratie, jusqu’ici assurée conjointement par le principe de la nation et de la justice sociale. Deux piliers de l’imaginaire occidental que les totalitarismes ont profondément discrédité sous la forme du nationalisme et du socialisme. L’évolution anthropologique mondiale les rend de toute façon difficilement envisageables : la nation n’est plus à l’échelle du monde, et le projet d’égalité sociale est inconcevable au sein d’un agrégat « multi­culturel » qui ne peut plus s’appeler « société ».

Ces considérations donnent sens à l’accentuation de phénomènes déjà connus : l’abstention croissante se révèle ainsi le rétablissement de fait du suffrage censitaire c’est-à-dire l’invisibilisation du pays profond, déjà considéré comme minorité négligeable ; le pouvoir d’achat, dont l’obsession est savamment entretenue, est en réalité considérée comme le dernier sauve-qui-peut permettant de fuir momentanément par l’ascension sociale la précarisation et l’ensauvagement engendrés par l’arbitraire étatique ; le vote communautaire participe à la recomposition des électorats en lobbys ethno-culturels, l’« extrême droite » incarnant le vote des autochtones et assimiléshttps://collectiflieuxcommuns.fr/?N… ; enfin la dissolution de la question écologique la désamorce, permettant son instrumentalisation pour préparer l’établissement d’instances mondiales de gouvernement sous couvert d’internationalisme forcé.

De la décomposition politique interminable semble émerger une logique impériale, que l’on n’a jamais vu s’installer sans guerre civile. Mais la crise de régime qui s’ouvre enfin pourrait être l’occasion d’une clarification et d’une recomposition politico-intellectuelle. Il y aurait à articuler les questions politiques, sociales, identitaires et écologiques, parfaitement indissociables, en direction de cette émancipation individuelle et collective dont l’Occident est encore porteur. Cela exigerait, avant toute chose, de commencer à lutter contre la bêtise purulente, qui confine à l’épidémie.

Lieux Communs – Juin 2022

Ça devrait vous plaire aussi :

Gramsci et les greffes d’ovaires

Gramsci et les greffes d’ovaires

Qu’aurait pensé le philosophe Antonio Gramsci (1891-1937), cofondateur du Parti communiste italien (1921), de l’artificialisation et de la marchandisation de la reproduction humaine, telles qu’elles se développent aujourd’hui, en attendant de devenir la norme ? Que pensait-il de l’eugénisme/transhumanisme, déjà hégémonique de son temps, parmi les biologistes et les adeptes du « socialisme scientifique » (Trotski, Bogdanov & Cie) ? Il se trouve que le petit bossu à grosse tête a publié là-dessus, en 1918, un article que PMO remet en circulation.

L’écoféminisme

L’écoféminisme

L’écoféminisme est une transmission. C’est l’œuvre des femmes qui étaient avant nous,c’est pour nous et c’est pour les femmes après nous. C’est une matrilinéarité magnifique. C’est quelque chose qui réside dans la chair, cela fait corps. C’est aussi un rapport avec tout ce qui n’est pas humain.

La revanche du rameur par Dominique Dupagne

La revanche du rameur par Dominique Dupagne

Le mal-être nous ronge et c’est l’organisation de la société humaine qui en est la cause. La médecine, pourtant dernier rempart contre la violence sociale et l’absurdité administrative, est l’exemple de cette aberration: elle peut nous sauver mais aussi broyer nos vies par ses excès.

0 commentaires