Avant-propos
Je vous propose cet article afin d’élargir votre champ de réflexion. Cela ne signifie pas forcément que j’approuve la vision développée ici. La motivation première de la publication de cette transcription est le nécessaire combat pour la liberté d’expression.
Circonstances
Samedi 19 novembre 2022, Floraisons et Deep Green Resistance France organisaient une réunion publique « Ecoféminisme et résistance » à Lyon.
L’événement, initialement programmé à la Maison de l’écologie, « tiers-lieu écologiste radical », a dû être déplacé en un lieu discret réservé aux inscrits, suite à son annulation par la Maison de l’écologie. Laquelle a cédé aux injures, menaces et intimidations déferlant, via les réseaux sociaux, d’activistes gauchistes, néo-sexistes, queer et LGBT les jours précédant la rencontre ; ainsi qu’aux pressions de ses partenaires politiques d’EELV.
Une soixantaine de personnes ont pu discuter durant près de trois heures, et les échanges ont été enregistrés. Pour savoir ce que les annulateurs ne voulaient pas qu’il soit dit librement, vous pouvez écouter le podcast de Floraisons.
Pour rappel, le même scénario s’est produit à Lille en juin 2022 pour une causerie de Pièces et main d’œuvre sur « Technologietechnologie La technologie résulte des noces de la science et du capital à l’époque de la révolution industrielle. Le mot de technologie, au sens moderne, apparaît en 1829 sous la plume de Bigelow, un universitaire américain. La puissance du capital et de l’État ne peut s’accroître sans révolutionner constamment les moyens de la puissance., technocratietechnocratie La technocratie est la classe de la puissance, de l’expertise et de la rationalité technicienne à l’ère technologique - celle de la révolution industrielle permanente - afin de révolutionner constamment ses produits et moyens de production. La technocratie asservit ainsi le capital et l’État à ses desseins de (toute-)puissance. Le mot de technocratie apparaît en 1919 sous la plume de William Henry Smyth, un ingénieur américain., transhumanismetranshumanisme Le transhumanisme est l’idéologie de la technocratie à l’ère des technologies convergentes (NBIC). La volonté de puissance prométhéenne formulée par Condorcet à l’aube de la révolution industrielle, afin de se rendre immortels « comme des dieux », se traduit d’abord par l’eugénisme. Un mot discrédité par les nazis et que le biologiste Julian Huxley remplace en 1957 par celui de transhumanisme. » organisée au cinéma L’Univers. Mêmes injures, menaces et intimidations, même reddition du lieu hôte. On peut également écouter cette causerie ici, maintenue dans un autre lieu, pour savoir ce que les annulateurs ne voulaient pas qu’il soit dit librement.
Transcription de la première intervention
L’écoféminisme est une transmission. C’est l’œuvre des femmes qui étaient avant nous,c’est pour nous et c’est pour les femmes après nous. C’est une matrilinéarité magnifique. C’est quelque chose qui réside dans la chair, cela fait corps. C’est aussi un rapport avec tout ce qui n’est pas humain. J’aime dire que nous sommes dans un tube digestif géant et que notre seul but sur terre, la seule chose qui fasse sens, qui soit belle, c’est de manger et d’être mangées, c’est faire sol et le sol c’est la vie. Nous nous battons pour la vie.
Qu’est-ce que l’écoféminisme ?
C’est une question à laquelle nombreuses et nombreux sont les philosophes, les intellectuels, les militants, les sociologues etc. qui tentent d’y répondre depuis 40 ans maintenant.
Une première réponse se penche sur l’apparition et le développement du mouvement depuis sa création. Le terme est d’origine française. On le doit à Françoise d’Eaubonne[1]Françoise d’Eaubonne à Grenoble, la première à contracter les mots féminisme et écologie en 1974. Il nait dans un contexte de nucléarisation de la société. On l’associe aux luttes menées par des femmes contre l’armement et la construction des centrales nucléaires. On peut citer dans les pionnières Ynestra King qui a fondé en 1979 le mouvement « Women and Life on Earth » (WLOE), à qui l’on doit les « Women’s Pentagone », actions qui se sont déroulées entre 1980 et 1981.
C’étaient des rassemblement spectaculaires où plus de 2000 femmes s’étaient réunies autour du Pentagone afin de réclamer la fin de la militarisation du monde et la fin de l’exploitation des femmes et de l’environnement. Il y a aussi les femmes de « Greenham Common » au Pays de Galles qui ont occupé pendant 19 ans une base de la R.A.F. où des missiles nucléaires devaient être implantés.
On peut aussi citer Françoise d’Eaubonne elle-même qui est allée poser deux bombes sur le chantier de la centrale de Fessenheim en 1975.
L’écoféminisme va quitter la plume de Françoise d’Eaubonne et la France où il a été boudé pour aller imprégner la pensée plus intellectuelle, plus académique aux États-Unis, en Allemagne, en Inde et dans le monde avec des autrices, des théologiennes, des philosophes et sociologues comme Rosemary Radford Ruether, Val Plumwood, Veronika Benholdt-Thomson, Maria Mies, Vandana Shiva.
Ces deux dernières ont co-signé le livre « Écoféminisme » en 1993. Dans le même temps, l’écoféminisme est aussi érigé en spiritualité, par des militantes, poétesses, écrivaines, dramaturges comme Claude Sarraute et Susan Griffin.
Dépossession
Aujourd’hui, le mouvement est l’objet d’une véritable dépossession alors qu’il est prétendu lui donner un nouveau souffle.
– Il y a d’abord ceux qui veulent en faire un objet d’étude rationnel. Pour eux, l’écoféminisme apparait comme un mouvement protéiforme, nébuleux et souvent qualifié d’inclassable. Or, l’écoféminisme n’est pas une rationalité cartésienne, ce n’est pas une rationalité masculine. L’écoféminisme n’a pas besoin d ‘être classé. Il existe pour lui-même et sous toutes les formes. Ce qui le compose, ce sont les combats de terrain, du vécu, des expériences, des exploitations des femmes, des poèmes, des chansons, des dessins, des artistes. Certes, on retrouve des livres plus académiques, plus philosophiques, qui viennent retracer son analyse mais ils ne sont pas pris au sérieux. Au vu des critiques qui en sont faites, on voit que les académiciens, les cartésiens, les scientifiques leur reproche toujours une simplification des rapports sociaux, des rapports à la nature et des rapports au sexe. Il est toujours évoqué un manque de nuances.
– D’autre part, on assiste aujourd’hui à une effrayante récupération du mouvement écoféministe dans la droite lignée de l’idéologie postmoderne et du libéralisme, deux autres fléaux de la pensée patriarcale. On s’approprie le mouvement, on l’éventre et on le vide de toute sa radicalité. On le rend politiquement correct. On le met en pantoufles à paillettes. Être écoféministe devient rouler en voiture électrique, défendre les éoliennes, être végane, manger bio, fabriquer son savon soi-même, atteindre le Graal du « zéro déchet » et dernièrement être une « éco-salope ».
L’écoféminisle devient des injonctions imposées majoritairement aux femmes et non aux hommes. Le coup de grâce final vient mimer l’écoféminisme, ce qui le compose et fait toute sa force en parlant d’« écoqueer ».
Notre conception
En fait, l’écoféminisme, c’est simple, et cela se résume en une seule phrase qui est vraiment lourde de conséquences:
« L’exploitation de la nature et la domination des femmes sont intrinsèquement liées »
Cela a aussi du sens en inversant les termes:
« L’exploitation des femmes et la domination de la nature sont intrinsèquement liées »
Pour répondre à tout cela, il faut comprendre qui exploite, qui domine, qu’est-ce qu’une femme, qu’est-ce que la nature et que signifie domination ?
Les objectifs de cette conférence est de transmettre l’écoféminisme que nous défendons, et lui donner ses lettres politiques, combattives et radicales. Ici est apportée une ébauche de réponses qui se base sur quelques notions clés. C’est faire de la sémantique. Nommer et donner du sens, c’est déjà commencer à combattre. Bien trop souvent, les termes ne signifient pas la même chose pour les personnes qui les emploient, ce qui sclérose les débats.
Nous nous revendiquons d’une entreprise politique sérieuse . Nous allons faire comprendre nos termes, nous allons donner nos propres définitions pour qu’elles deviennent collectives.
Qui domine ?
Les hommes ou pour être plus justes la classe des hommes parce que partout dans le monde, à de très rares exceptions prêts, les rapports sociaux entre hommes et femmes sont régis par le patriarcat.
Qu’est-ce que le patriarcat ?
Un peu d’étymologie : Le terme signifie le commandement du père et provient du grec πατριάρχης (patriarkhēs), qui est la juxtaposition de πατριά (patria), « descendance, lignée paternelle » (qui est issu de πατήρ patēr, « père ») et de ἄρχω (arkhō), « commander, être le chef, régir ».
άρχης (arkhēs) est un terme grec polysémique qui peut tout à fois dire le commencement, l’origine, la cause ou commandement et pouvoir. Évidemment pour le terme patriarcat, c’est le deuxième sens qui est retenu, alors que , chose importante, c’est le premier sens qui est retenu pour le mot matriarcat.
Historiquement , on peut dire que le patriarcat a d’abord été décidé par des hommes au XIXème siècle en science sociale. Il est alors décrit en référence aux civilisations gréco-romaines comme une forme d’organisation sociale plus complexe que le prétendu matriarcat primitif. Dans cette nouvelle forme d’organisation, le pouvoir était distribué inégalement entre les hommes et les femmes, au détriment des femmes bien-sur. Engels lui-même le décrivait dans son livre « l’origine de la famille, propriété privée et État » comme la défaite historique mondiale du sexe féminin.
C’est dans les années 1960 que les féministes de la deuxième vague ont remis à jour et étendu la notion parce que d’une part, les sciences sociales l’avaient délaissée considérant qu’elles s’appliquaient uniquement pour caractériser des civilisations passées et d’autre part parce que le patriarcat était entendu dans sons sens le plus restreint et traditionnel, c’est à dire un système dans lequel le patriarche de la famille détient de manière absolue des pouvoirs légaux et économiques sur les femmes qui dépendent de lui mais aussi sur les hommes de la famille qui ne sont pas eux-même en âge d’être patriarche. Pour ces féministes, le patriarcat recouvre une réalité plus étendue du système et va bien au-delà d’une simple distribution inégale de pouvoir entre hommes et femmes.
D’une part elles critiquaient l’historicité du patriarcat qui est plus vieux que l’antiquité classique. D’autre part, le patriarcat a pris d’autres formes qu’ implique le mode d’organisation moderne. Grâce au travailTravail Pour le courant de la critique de la valeur, Il ne faut surtout pas entendre le travail ici comme l'activité, valable à toute époque, d'interaction entre l'homme et la nature, comme l'activité en générale. Non, le travail est ici entendu comme l'activité spécifiquement capitaliste qui est automédiatisante, c'est à dire que le travail existe pour le travail et non plus pour un but extérieur comme la satisfaction d'un besoin par exemple. Dans le capitalisme le travail est à la fois concret et abstrait. Source: Lexique marxien progressif de ces féministes, le patriarcat est défini plus largement comme la manifestation et l’institution de la domination masculine sur les femmes et les enfants au sein de la famille d’abord mais également l’extension de cette domination au sein de la société en général. Le patriarcat implique que les hommes détiennent le pouvoir dans toutes les institutions importantes de la société et que les femmes sont dépourvues d’un accès à un tel pouvoir. La critique inclut donc l’ensemble des mécanismes sociopolitiques que l’on va nommer institutions patriarcales permettant de reproduire et d’assoir la domination des hommes sur les femmes. Cette définition du patriarcat est importante parce qu’il en découle des conséquences politiques importantes pour comprendre quels vont être les enjeux et les stratégies de l’écoféminisme.
Enjeux et stratégies de l’écoféminisme
1) Tous les hommes en tant que classe sociale oppriment toutes les femmes en tant que classe sociale.
2) L’oppression implique une appropriation de la force productive et reproductive des femmes à travers le contrôle de leur corps, de leur esprit et de leur spiritualité. Ce contrôle se fait de manière plus ou moins violente. Il y va de la religion aux lois en passant par le viol et les violences physiques.
3) Le patriarcat repose sur l’érotisation des relations de domination.
4) L’assise du patriarcat est un consensus de dévalorisation de tout ce qui est féminin et la valorisation de tout ce qui est masculin. Or, c’est un mécanisme de patriarcat lui-même que d’instituer et de définir ces deux catégories. C’est ce qu’on va appeler le stéréotype de genre ou simplement le genre.
5) Le patriarcat repose sur le système de domination interconnecté que sont les systèmes de domination de race, de classe sociale, d’exploitation de la nature et de domination des enfants.
6) Le patriarcat prend plusieurs formes et coexiste avec différentes formes d’organisations : empires, théocraties, républiques, démocraties, communismes, socialismes etc..
7) Le patriarcat a eu un début. Il peut donc avoir une fin.
Inviter au débat
Pour enrichir le débat, lire cet article de Charlie-Hebdo par Laure Daussy:
« Écoféminisme : une renaissance à la sauce « woke » par Laure Daussy »
C’est la nouvelle tendance du féminisme, dont la Verte Sandrine Rousseau notamment se revendique. On en parle depuis peu, mais ce courant plonge ses racines dans les années 1970. L’idée est de considérer que les femmes et la planète Terre ont été victimes d’une même prédation, celle de l’homme. Si ce mouvement comporte des aspects intéressants, il risque aussi de réduire à nouveau les femmes à des stéréotypes essentialistes, sans parler de certains délires ésotériques de « sorcières » qui en émanent. (Suite)
References
↑1 | Françoise d’Eaubonne à Grenoble |
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