Démontage d’un enfumage : la bourse des valeurs favoriserait l’économie, par Frédéric Lordon

28 Fév 2020

Transcription d’une vidéo de Frédéric Lordon au sujet d’un propos de Emmanuel Macron justifiant la réforme de l’impôt sur la fortune (I.S.F.) de décembre 2018.

Mise au point préalable de la rédaction :

Les protestations contre cette réforme de l’I.S.F. n’ont pas fait plier notre président et son gouvernement. En février 2020, à l’occasion du débat sur la réforme des retraites, le gestionnaire d’actifs le plus puissant du monde est montré du doigt comme principal bénéficiaire d’un remplacement d’un système par répartition mis en place par Ambroise Croizat ministre du travailTravail Pour le courant de la critique de la valeur, Il ne faut surtout pas entendre le travail ici comme l'activité, valable à toute époque, d'interaction entre l'homme et la nature, comme l'activité en générale. Non, le travail est ici entendu comme l'activité spécifiquement capitaliste qui est automédiatisante, c'est à dire que le travail existe pour le travail et non plus pour un but extérieur comme la satisfaction d'un besoin par exemple. Dans le capitalisme le travail est à la fois concret et abstrait. Source: Lexique marxien progressif entre 1945 et 1947 par un système par capitalisation. Pourtant,

« L’épargne retraite  [n’est déjà] rien d’autre que de gentils fonds de pension à la française, gérés pour certains par les gentils « partenaires sociaux » ! Des titres financiers qui rapportent des intérêts ou des dividendes grâce à la croissance économique et l’exploitation maximum du travail ! »

Baba D. Retraite à points, croissance sans fin. La décroissance, num 146, p.11

Cela dit voyons comment Frédéric Lordon démonte l’imposture de la bourse des valeurs comme facteur d’investissements :

« Dans ce contexte, certains voudront que je revienne sur la réforme de l’I.S.F.. Conformément aux engagements pris devant vous, cet impôt a été supprimé pour ceux qui investissent dans notre économie et donc aident à créer des emplois. »

Emmanuel Macron – Décembre 2018

Dans le discours de E. Macron, la suppression de l’I.S.F. pour les valeurs mobilières était nécessaire pour améliorer le financement de l’économie, donc de la croissance et de l’emploi etc.. C’est la vocation des économistes libéraux de recourir à l’obscénité avec des arguments technocratiques administrés en toute autorité que le bon peuple est prié de ne pas discuter.

Argument de départ

 Il faut soulager les riches pour leur permettre de financer l’investissement. Quand une entreprise veut investir au-delà du profit disponible, elle a deux solutions : demander un crédit auprès d’une banque ou bien aller à la bourse des valeurs pour émettre de nouvelles actions. Quand une entreprise émet de nouvelles actions, des agents économiques, des épargnants, ou des investisseurs institutionnels y souscrivent. En échange de ces actions l’entreprise reçoit de l’argent qui constitue une ressource financière pour investir.

Les chiffres

Le montant des actions nouvelles émises par an (chiffre de 2015 mais ordre de grandeur identique à 2020) s’élève à 10 milliards d’€uros.
Le montant total de l’investissement des entreprises (sociétés non financières) s’élève quant à lui à 260 milliards d’€uros.

Par conséquent la contribution véritable de la bourse au financement de l’investissement est de 3,8 %.

Conséquences

L’activité de la bourse ne se limitant pas en ces 10 milliards d’€uros, posons nous la question du « à quoi, la bourse s’amuse-t’elle ? ». La réponse est à la circulation des actions mobilières déjà émises dans le passé dont l’effet de financement de l’économie est consommé.

Le volume global de tous ces échanges d’actions avec lesquels joue la bourse, ce qu’on appelle la capitalisation boursière s’élève à 3300 milliards d’€uros qui est la ressource du tourniquet spéculatif consistant en un ensemble de transactions qui font passer des titres de main en main des « investisseurs » financiers. Les entreprises n’en voient plus la couleur.

Là nous sommes dans le jeu spéculatif qui n’a plus aucuns rapports avec la santé des entreprises, leur financement, leurs investissements etc.. D’un côté il y a la contribution de la bourse au financement réel de l’investissement par le truchement des actions nouvellement émises (10 milliards d’€uros) et de l’autre nous avons la grande lessiveuse spéculative qui ne tourne que pour des « investisseurs » financiers (3300 Milliards).

Dans l’activité globale de la bourse, seuls 0,3 % seulement sont donc utiles à l’investissement.

Si nous partons de l’hypothèse que le comportement moyen des individus fortunés n’est pas très différent du comportement moyen de la bourse considérée dans son ensemble, ces gens fortunés (ou fonds d’investissements – n.l.d.r), à l’image de l’activité globale de la bourse contribuent seulement à hauteur de 0,3 % au financement des nouveaux investissement.

L’argument selon lequel la suppression de l’I.S.F. (ou de tout argument en faveur de la financiarisation – retraites, assurances vie etc.) encourage le financement des entreprises est un enfumage de très haute densité.

Frédéric Lordon

A ce stade du raisonnement il reste deux questions à traiter. Lorsque E. Macron affirme que les investisseurs financiers améliorent le financement de notre économie et aident à créer des emplois, est-il idiot ou est-il cynique ?

1) S’il croit lui-même à son propre argument c’est un imbécile parce que son argument est une contre-vérité à 97 %. S’il n’y croit pas et qu’une fois les caméras éteintes, il se retire dans son bureau pour éclater de rire, cela ne fait pas non plus de lui un personnage recommandable.

2) Quelque soit la réponse donnée à la question précédente, cette analyse nous permet de nous éclairer quant à la nature réelle du projet politique de E. Macron, celui de sécuriser la richesse des riches. Ce n’est pas un scoop mais est-il ainsi possible de l’articuler à une analyse économique.

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